Être la fondatrice d'un mouvement anarchiste luttant contre le système et les organisations racistes diverses et variées, c'était parfois sexy – demandez à Anastasia Tchaïviev (qui ne vous répondra probablement pas, mais qui, au moins, le sait) – mais parfois, ça ne l'était pas. Le fantôme de Natacha Tchaïviev, qui hantait à l'heure actuelle les marais des Highlands, en était la preuve. Mais bon, il fallait faire ce qu'il fallait faire, et les missions de repérage dans ce genre de lieux étaient plus adaptés aux fantômes qu'aux vivants, qui auraient pu s'enliser dans cette boue peu attirante. La rumeur disait que certains artéfacts puissants étaient ici cachés et, bien qu'il ne s'agisse probablement que d'une légende urbaine, l'Internationale avait préféré envoyer quelqu'un vérifier qu'il n'y avait rien avant que l'Organisation n'y trouve l'occasion d'encore étendre son pouvoir. Vous l'imaginez bien, s'il y avait quelques rares jours où Natacha était heureuse, aujourd'hui, ce n'était pas vraiment le cas.

? · Mais rah ! Yana tu es où ?! Il y a quelqu'un dans ce marais trop bête ?!

Si Natacha ne pouvait plus attraper sa baguette et se mettre en position défensive, il n'y avait aucun doute quant au fait que son visage fantomatique s'était soudainement tendu, prête à faire face, froidement, à n'importe quelle situation. Un malheureux hasard aurait-il amené un adepte de l'Organisation à être présent là, en même temps qu'elle ? Ou pire encore, était-ce un employé du Ministère ?

La réponse semblait être ni l'un, ni l'autre. En effet, plutôt que d'avoir affaire à une adulte, ou même à un mortel, Natacha se retrouva face au fantôme d'une enfant, qui n'avait certainement pas dépassé les dix ans de vie – ce qui expliquait certainement l'immaturité de l'exclamation qui avait précédé cette rencontre. Mais qu'est-ce que la gamine pouvait bien faire là ? Même fantôme, ce n'était décidément pas un endroit adapté à une fillette aussi jeune.

Heureusement pour cette fillette, Natacha avait beau être de mauvaise humeur, les enfants étaient son point faible. Ça avait été le cas pour Ashka Hanson, il y a fort longtemps, pour Faith Fawley, plus récemment, et manifestement, ce serait désormais au tour de cette jeune fille de voler le cœur de la défunte. Et si le visage de la russe affichait son habituelle bougonnerie, le simple fait qu'elle répondit à cet appel était déjà la preuve qu'au fond, elle avait envie d'aider cette pauvre enfant, manifestement perdue.

NATACHA · Ben voyons, qu'est-ce que tu fais là, toi ? T'as pas... Un adulte, quelqu'un qui t'accompagne ?

C'était quand même pas commun, un enfant fantôme. Cette fillette devait être particulière – réussir à revenir du monde des morts à son âge, ce n'était pas une tâche dont beaucoup de défunts pouvaient se vanter. Même certains adultes n'y arriveraient pas. Alors, elle... Que faisait-elle là ?

? · Hé tu es qui toi ?

Natacha n'avait jamais été douée pour les présentations. Son identité lui avait tant de fois échappé qu'elle n'était plus sûre de la connaître, et jamais un nom, un visage, un masque suffisait pour dire qui elle était. Mais, évidemment, impossible d'expliquer ça à une enfant. Les enfants peuvent être intelligents, et parfois plus lucides que certains adultes ; mais il y avait des choses qui étaient juste trop cruelles pour qu'ils les entendent. Et qu'en est-il d'une petite fille fantôme, que la vie avait abandonné avant même que son cerveau soit complètement formé. Elle devait avoir huit ans. Constat dramatique pour Natacha, qui se retenait de poser sa main sur son ventre – elle avait presque l'âge de son enfant à elle, qui n'avait jamais vu la lumière du jour. Dans une autre vie, cette rouquine était comme sa fille.

NATACHA · Je m'appelle Natacha. Et toi ?

Qui donc pouvait être cette fillette ? Les fantômes hantaient rarement ce genre d'endroits. Déjà, Natacha, dont le voyage semblait s'être gravé dans son essence, était presque une exception dans son genre, la plupart se contentant de hanter le même lieu pour l'éternité. Mais en plus, pour une enfant – elle voyait mal quel genre de parent pouvait amener une vivante aussi jeune dans un tel endroit. Qu'est-ce qu'elle fichait là ?

? · Ma maman elle m'a dit de suivre les rails. Alors j'ai fait ça. Mais maintenant je suis perdue. Tu connais Yana madame ? Elle est à l'école !

Les rails, l'école... Cette enfant bien trop petite se dirigeait donc à Poudlard. Du moins, c'est la seule école dans laquelle des parents décents pourraient envoyer un fantôme – mais cette idée-là aussi pouvait être remise en question : des parents responsables envoyaient-ils une enfant aussi jeune, même si cette jouvence était éternelle, dans un château rempli d'adolescents et de drames hormonaux ? Natacha avait déjà bien du mal à voir son fils grandir, et prendre les traits de ces adolescents bientôt adultes, quasiment en proie à leurs passions. Cette flamme pouvait être puissante et positive, certes, la défunte en était peut-être l'exemple même – mais pour une enfant ? L'instinct maternel de Natacha ne pouvait que s'inquiéter d'une telle décision. Quant à cette Yana, qui était telle ? La russe ne pouvait penser à aucune professeure dont cela serait le nom. Ou peut-être était-ce un surnom, qu'elle donnerait à sa grand-mère, quelque chose comme ça ? Mais non, le fantôme ne voyait pas. En même temps, elle ne connaissait pas tout le monde, et vu ses fréquentations, peut-être était-ce une chose positive, qu'elle ne connaisse pas cette Yana.

NATACHA · Je ne suis pas sûre de connaître... Yana, non. Mais je sais où est l'école. Tu veux que je t'y accompagne ?

Aussitôt prononcée, aussitôt regrettée, Natacha n'avait pas d'autre choix que de poser cette question. Elle ne pouvait pas laisser cette fille, qui avait l'âge de son enfant, et qui, pour une fois, était du même genre qu'elle, en détresse, voyons. Ce serait comme abandonner son enfant. La mission qu'elle essayait d'achever n'était même pas si importante, et elle n'avait pas fait le vœu de protéger les minorités magiques pour au final abandonner de telles personnes. Alors, elle n'avait pas le choix – même si baby-sitter une enfant fantôme ne semblait pas être une tâche facile, ce n'était pas comme si quelqu'un d'autre au monde pouvait prétendre le faire mieux qu'elle.

? · Tu es très jolie madame ! Est-ce que tu es un fantôme toi ?

Natacha se surprit à prendre plaisir à entendre cela. Cela faisait fort longtemps qu'on n'avait pas complimenté son physique, elle qui, autrefois, avait séduit tant d'hommes et de femmes. Les mortels avaient du mal à voir de la beauté dans les corps fantomatiques. Et, quand ils la voyaient, ce n'était jamais comme avant. Depuis sa mort, elle n'était plus désirable comme lors de son vivant – et, ayant évité soigneusement les autres fantômes de Poudlard, et les quelques avances parfois gênantes que certains de ces spectres lui faisaient, elle avait oublié que les autres morts pouvaient, eux, toujours voir cette beauté passée. Qu'à leurs yeux, son absence de chair n'était qu'un détail parmi tant d'autres. Et, même si la remarque de cette fille était empreinte d'innocence, ce compliment la flattait. Et pourtant, la question qui suivait lui rappelait bien rapidement la triste fatalité.

NATACHA · Oui, je suis un fantôme. Depuis six ans maintenant. Tu me suis ?

Faisant demi-tour, et s'assurant de flotter lentement, ne sachant pas à quel point cette petite fille manifestement perdue maîtrisait la vie de fantôme, elle commença à se diriger vers le point lointain de l'horizon, où Poudlard finirait par être trouvé.

NATACHA · Mais dis-moi, tu es sûre de vouloir aller à l'école ? T'es quand même un peu jeune, pour ça, non ?

Natacha ne savait pas trop comment parler aux enfants aussi jeunes. Lorsqu'elle avait adopté Oryæ, il avait déjà onze ans après tout. Alors, elle faisait de son mieux. Un peu comme toutes les mamans, au final, mais cette fois, avec un bond de huit ans dans le temps.

MOÏRA · Je t'ai pas dit mon nom madame ?! Moi je m'appelle Moïra. M O Ï R A.

Natacha sourit en entendant la petite fille souligner le tréma sur le i de son nom. Elle aussi, pendant longtemps, avait fait ça. À l'époque, elle était déjà plus vieille que Moïra, mais elle était tout de même bien jeune. C'était mignon. Mais ce n'était pas le moment de s'attendrir ; la russe avait encore au moins deux ans à passer au château, et il était hors de question que, d'ici là, elle doive s'occuper d'une petite fantôme qui risquait de lui coller aux bottes pour l'éternité. Elle aimait les enfants, oui, mais pas au point de devenir une sempiternelle baby-sitter.

MOÏRA · Tu es un fantôme depuis six ans ?! Moi ça fait deux ans ! Parce que j'ai huit ans et demi depuis. Et que Yana elle avait neuf ans et du coup maintenant qu'elle a onze ans elle est à l'école !

La rouquine lui tournait autour, perturbait l'air autour d'elle et l'empêchait de choisir librement son chemin. Laisser un enfant être fantôme, mais quelle idée ! N'y avait-il pas de règles pour cela ? Le monde des morts était-il en grêve, il y a deux ans ? Tentant de s'attacher à son attendrissement envers la fillette, plutôt qu'à son agacement provoqué par tous ces courants d'air enfantins, Natacha se concentra cependant sur le reste de ses propos. La fameuse Yana était donc... une enfant ? Pauvre fille, si elle était condamnée à s'occuper de ce spectre en bas âge pour le restant de sa scolarité (voire de ses jours), sa vie n'allait pas être facile. Enfin, peut-être que les deux sœurs (elles devaient bien être sœurs, n'est-ce pas ?) s'entendaient à merveille, et que ce drôle de duo serait une bonne chose pour elles. Mais enfin, Natacha aimait beaucoup sa sœur, et elle ne s'infligerait pas pour autant sa présence pour l'éternité. Enfin bon, chacun ses choix, et elle n'allait pas tomber dans le piège qui consistait à devenir la référente de ce nouveau fantôme à Poudlard. Si ses parents, des mortels, probablement, pensaient que c'était une bonne idée, c'était leur décision. Et la défunte se contenterait de hocher la tête face aux sourires de Moïra, en essayant d'atteindre Poudlard le plus vite possible. Ce n'est pas comme si cette dernière était réellement son enfant.

MOÏRA · Bah oui je dois me rendre à l'école ! Parce que ma cousine est à l'école ! Et si je vais pas à l'école je ne peux plus être là, tu comprends ?

Natacha ne comprenait pas tout – elle comprenait rarement tout ce que racontaient les enfants à vrai dire – mais elle en comprenait suffisamment pour comprendre que la chose était organisée, et, surtout, qu'elle n'avait plus son mot à dire là-dedans. Tant mieux. Ça lui ferait moins de choses auxquelles penser. Bon courage aux professeurs, cependant, qui devraient canaliser l'énergie d'une morte de huit ans pendant les sept années de la scolarité de la fameuse Yana. Au moins, ils ne s'ennuieraient pas.

NATACHA · Oui oui, je vois...

MOÏRA · Hé madame Natacha tu n'as pas entendu un bruit bizarre dans la brume là ?

Natacha avait entendu le bruit une fraction de seconde avant que Moïra ne lui fasse remarquer. En effet, un bruit étrange, difficile à identifier, venait de se faire entendre à sa gauche. Immédiatement, elle pensa à un agent de l'Organisation, qui n'avait pas le privilège de l'immatérialité. Après tout, c'était eux que l'activiste tentait d'éviter en premier, avant tout cette histoire d'enfant fantôme. La silhouette de fumée de la russe sembla se tendre, comme prête à se défendre, mais, un instant passa et l'adulte sembla se rappeler qu'elle n'était pas seule. Et, même si elle n'avait pas la vie de la jeune fille à protéger, elle se devait quand même de préserver son âme, qui n'avait que dix ans, des horreurs du monde sorciers. Alors, elle plongea son regard dans celui, tout aussi transparent, de Moïra, et chuchota :

NATACHA · Si t'as raison, c'est bizarre ce bruit. T'as déjà joué à cache-cache ? Suis-moi, on va faire une partie !

Et, immédiatement, elle plongea en dessous du sol, se cachant là où les vivants ne pouvaient pas se rendre. L'immatérialité avait au moins cela de pratique. Et, une fois que la fantômette arriva à ses côtés, elle plaça son doigt sur ses lèvres, et lui fit un clin d'œil.

NATACHA · Maintenant, on se tait. La première qui fait du bruit a perdu !

Une excuse toute trouvée pour ne pas se faire remarquer, et, surtout, pour tendre l'oreille et surveiller ce qui se passait à la surface de la Terre. Pourvu que la fillette soit douée à ce jeu.